Ceci se passe dans une crèche (suite et fin)

suite et fin du texte de Aude, EJE

« Lors d’un échange avec une auxiliaire sur l’organisation générale de la crèche, celle-ci me confie son découragement face à l’agitation dans le groupe d’enfants. Nous évoquons l’intérêt de diviser le groupe en petits groupes permettant à l’adulte d’être plus disponible pour les enfants dont elle s’occupe particulièrement. Le moment du repas est pris en exemple par la professionnelle. Je profite de cette occasion pour partager avec elle certaines de mes observations et lui faire part de mes questionnements et de mon analyse. Elle écoute attentivement puis me fait part de son envie  de changer l’aménagement de la salle de repas. Elle souhaite la diviser en deux à l’aide de la desserte, une table de chaque côté. Je salue son idée et apporte quelques éléments relevant de mes compétences de future EJE. Je mets en avant que le petit groupe favorise une prise en charge plus individualisée, une disponibilité plus grande pour les enfants de la part des professionnelles qui deviennent «  référentes  » d’un groupe d’enfants. Je mets l’accent sur l’importance, dans cette configuration d’espace, de se «  poser  » avec les enfants et d’éviter les allées et venues, sources d’agitation. Nous évoquons alors le moment qui précède le repas et je lui indique qu’il paraît essentiel de prévenir les enfants en mettant en place un temps de transition qui soit un repère pour eux.

manger
Cet échange s’est enrichi lors d’une réunion que les auxiliaires et les titulaires du CAP petite enfance font entre elles, une fois par semaine dans la section au moment de la sieste des enfants. Cela a été l’occasion pour moi d’apporter des éléments importants pour l’enfant  : qu’il se sente à la fois sécurisé par une organisation claire, qu’il sente qu’il a sa place d’individu unique dans ce collectif, toujours la même place, qu’il puisse participer activement au repas et enfin qu’il se sente utile et donc valorisé pour ce qu’il produit pour le collectif auquel il appartient.
Nous avons souhaité une organisation fiable et repérable pour l’enfant qui réponde à son besoin d’anticipation. Cette organisation qui peut paraître stricte et rigide est à mon avis plus une organisation exigeante qui garantie un cadre sécurisant pour l’enfant et qui permet à la professionnelle d’être plus disponible pour lui sans avoir à gérer des problèmes liés à l’organisation. Cette vision des choses fait écho à l’importance donnée à l’organisation dans la pédagogie d’Emmi Pikler et à celle de  l’ordre dans la pédagogie de Maria Montessori.

Voici ce que nous avons fait en équipe  :
Nous avons souhaité que la transition entre le temps de jeu et le temps du repas se fasse en douceur, en respectant le rythme de chaque enfant. Nous avons initié un moment de lecture à voix haute suivi d’un moment de chant en laissant progressivement les enfants venir rejoindre le groupe. La plupart des enfants viennent s’asseoir rapidement dès le début de la lecture, d’autres restent en retrait avec un jouet mais j’observe qu’ils sont avec nous sans pour autant être dans le groupe  :

Pierre est à l’écart du groupe, il termine une construction. Je suis en train de lire «  La grenouille a grande bouche.  » Soudain je l’entends dire à l’autre bout de la pièce  : «la grenouille elle mange des mouches  !  ».

Après ce temps calme, une professionnelle explique aux enfants ce qui va suivre. Deux enfants partent préparer la salle de repas avec une professionnelle pendant que les autres, à tour de rôle, se lavent les mains dans la section.
Louis et Maud partent joyeusement avec Marie pour mettre la table. Ils lavent leurs mains au lavabo double dans la salle de repas pendant que Marie dispose les petites étiquettes des « prénoms-gommettes » toujours à la même place suivant un plan de table affiché dans la salle. Les enfants se dirigent vers le bac de vaisselle et dispose les assiettes sur la table ou ils ont l’habitude de manger. Marie veille à ce que les enfants ne se trouvent pas en difficulté. Elle nomme les enfants qui seront présents à chaque table. Une fois la table mise, le petit groupe retourne dans la section. Maud annonce fièrement: «  ça y est, c’est prêt  !  ».
Le petit groupe se dirige tranquillement vers la salle de repas. Chacun prend place, sa place.

Cet élément, empreint à la pédagogie d’Emmi Pikler, vise à donner un cadre rassurant à l’enfant. Celui ci sait qu’il à une place qui reste inchangée, qu’il la trouvera pour chaque repas.
Une adulte prend place à chaque table, en face des enfants. Elle a ainsi accès à tout le matériel nécessaire au repas des enfants en restant assise, proche et disponible pour les enfants. Si le nombre d’adultes est supérieur à deux, ces adultes se positionnent de manière judicieuse auprès des enfants dont ils sentent un besoin d’accompagnement plus important.
Durant tout le repas, chaque table fonctionne de manière indépendante et l’adulte respecte le rythme qu’il pense être celui des enfants qu’il accompagne.
L’adulte nomme les plats et invite les enfants à se servir seul, ou a servir les autres. Les différents échanges entre enfants sont respectés et encouragés. L’adulte veille à ne pas presser les enfants. Elle semble elle-même plus détendue dans cette organisation  et j’observe que la professionnelle change son mode de communication, les interdictions sont moins nombreuses et les échanges sont naturels, un vrai dialogue s’installe entre elle et les enfants. J’attribue ces bienfaits au fait que l’adulte n’est pas accaparée par le souci de l’organisation du repas  : «  …ce temps de soin est un temps de lien…les enfants sont nourris non seulement par les éléments qu’ils trouvent dans l’assiette, mais par l’attention et l’intérêt qui leur sont portés, gages de sécurité et fondement de l’estime de soi  ». Les enfants participent au débarrassage avec plaisir. Chacun apprend en douceur à faire en présence de l’autre puis avec l’autre.
Cette organisation permet une prise de repères sécurisante pour l’enfant. Elle le responsabilise dans une action phare de la journée et lui donne une place en tant qu’individu dans un collectif. Elle valorise l’enfant dans ses capacités et ses compétences. Elle le fait «  acteur  » de sa vie à la crèche. »