Ceci se passe dans une crèche (suite)

suite du texte de Aude, EJE

« Cette description de ce temps de transition entre un moment de jeu et le repas ainsi que le repas lui même est tirée de mes observations des premiers jours de stage. Il est sans doute important de noter que l’ensemble de la journée se déroule de cette manière c’est à dire que les moments repères qui permettent de rythmer la journée de l’enfant à la crèche et lui donner un cadre sécurisant sont inexistants.
J’observe que les enfants jouent tranquillement accompagnés d’adultes disponibles et à l’écoute de leurs besoins. Les professionnelles sont calmes, mesurées et non directives sur ces moments de jeu. Puis soudain, il n’est plus question de jouer, l’enfant doit arrêter son jeu, son activité, son expérimentation, ses découvertes. En un instant, il doit comprendre qu’il est temps de passer à autre chose parce que c’est l’adulte qui le dit, parce que  «   c’est l’heure  ». Ainsi, j’observe que, sans en rien comprendre, l’enfant est sollicité pour rejoindre le groupe plus ou moins rapidement selon les jours et le «  retard qu’on aura pris  », après avoir rangé la salle… ou non…
Je note en effet que les différents moments de la journée ne sont pas repérés par les enfants. On passe du jeu au repas sans transition, sans prendre le temps de préparer l’enfant, sans lui permettre d’être acteur dans ce changement. Alors, les enfants qui n’ont pas compris, ou qui n’ont pas été préparés au changement d’activité, n’adoptent pas l’attitude attendue par l’adulte. La tension monte, les enfants continuent leurs jeux ou bien s’agitent, se disputent. Les conflits augmentent et les interdictions des adultes se font plus nombreuses. On attrape un enfant par ci pour le mettre là, on tente de canaliser le groupe  : tous ensemble au même endroit au même moment. Puis la porte s’ouvre…
Les professionnelles sont fatiguées. Lors des réunions, l’équipe décrit les enfants de son unité comme des enfants « remuants, brouillons, uniquement dans la motricité, qui ne se posent pas ». Elle dit que « c’est un groupe difficile, impossible à canaliser, à gérer  »…

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Il convient de replacer l’enfant au centre de notre questionnement et en cela je rejoins un point important de la pensée d’Emmi Pikler  : partir de l’enfant, de l’observation de l’enfant. Que nous dit l’enfant dans son agitation soudaine, dans ses débordements inattendus, dans son agressivité envers ses pairs  ? N’est-ce pas là, la mise en place de mécanismes de défense face à une insécurité trop grande générée par un enchaînement d’actions que l’enfant ne peut prévoir  ?
De même, je mesure combien l’enfant est «  objet  »  : transporté, déplacé, puis replacé, assis, nourri. Quelle conception a-t-on de l’enfant  ? Quelle possibilité a-t-il d’être «  sujet  », de participer, d’agir, de prendre des initiatives  ?
Je dégage donc deux points essentiels de mes questionnements. Comment organiser un moment de transition qui permette à l’enfant de se sentir sécurisé et qui s’inscrive dans une continuité de prise en charge  ? Comment permettre à l’enfant de se sentir acteur de sa vie à la crèche en respectant son individualité tout en le valorisant dans son inscription au sein d’un collectif  ?
Je trouve certaines réponses en m’appuyant sur différents points essentiels de la pédagogie d’Emmi Pikler  : organisation du cadre de vie, organisation des temps de vie: chacun a une place, réflexion méthodologique et définitivement: qualité des relations adultes-enfants basées sur la reconnaissance et la prise en compte des compétences de l’enfant.
L’accompagnement d’un enfant dans un changement d’activité ou au cours d’un repas fait partie intégrante du soin. Il faut une bonne organisation qui permette à la professionnelle d’être disponible pour l’enfant. De cette organisation dépend la qualité de la relation qui va s’établir entre l’enfant et la professionnelle et donc du bien-être de l’enfant accueilli.
Il faut donc repenser l’organisation de ce moment repas ainsi que le positionnement des adultes pour que l’enfant se sente dans une continuité de soin et se sente respecté et valorisé dans ces compétences.
Je rejoins à nouveau Emmi Pikler lorsqu’elle dit l’importance de soutenir les professionnelles, de les aider à penser leur travail tout en s’ajustant à là ou elles en sont dans leur cheminement professionnel. Il faut alors sans doute une certaine proximité. Je citerai Myriam David et Geneviève Appell pour appuyer mon propos  : «   c’est pourquoi l’organisation du travail prévoit des moyens qui doivent permettre à chacun de comprendre le sens des interventions qui lui sont demandées, de partager avec d’autres sa connaissance de chaque enfant, de trouver aide et soutien face aux problèmes rencontrés et de progresser dans sa compétence professionnelle  ».
C’est donc dans cette dynamique de travail en équipe que le «  projet repas de la section des grands-crèche  » est né. »

Suite et fin la semaine prochaine